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Soul : Joe l'oncle jazz

  • Photo du rédacteur: Jimmy Poorteman - Holycrabe
    Jimmy Poorteman - Holycrabe
  • 6 janv. 2021
  • 9 min de lecture

Le jour de Noel marquait la sortie de Soul, le nouveau film des studios Pixar. Il avait été finalement peu mis en avant ou en tous cas très peu à l'avance, n'ayant pas à créer l'attente d'une sortie en salles sombres puisque le film est sorti directement sur Disney+.


Les films de Disney/Pixar, on en connait la recette maintenant. Des personnages gentils, plein d'émotions et une double lecture pour qu'on s'y retrouve à tout âge. Alors quand on apprend que s'approche la sortie de Soul, premier Pixar dont le personnage principal est afro-américain, on se dit que c'est bon, on sait, même si ça ne va surement pas parler ouvertement d'inégalités sociales ou de la place du racisme dans la société, ça va forcément aborder des éléments relatifs à l'identité, sa place par rapport aux autres, la richesse dans la différence, tout ça pour nous apprendre une leçon, la morale habituelle qui clos les films sur fond d'espoir. WALL-E et la préservation de l'environnement et la réhumanisation de la société en est le parfait exemple.


Du coup, pas du tout, rien à voir. Le film a beau prendre comme base un élément très ancré dans la culture afro américaine, à savoir le jazz (et non la soul ce qui n'arrêtera sans doute jamais de m'irriter), à aucun moment on ne va parler de couleur de peau, ce qui n'est pas plus mal puisque ça permet au film d'illustrer que le choix d'un personnage de couleur comme protagoniste n'oblige pas à ce que le film tourne autour de ça. Bien joué le film.


Le premier acte introduit donc assez rapidement les thèmes qu'on va trouver tout au long du film. Joe Gardner est un musicien fan de jazz dans la quarantaine qui enseigne la musique dans un collège. La plupart de ses élèves prêtent l'attention que vous imaginez à ses cours, mais il a dans sa classe une jeune tromboniste talentueuse et surtout passionnée. Après des années d'incertitude, Joe est enfin engagé à plein temps, enfin un “vrai boulot“ que sa mère le somme d'accepter plutôt que de continuer dans sa voie sans issue à ses yeux, à espérer percer un jour en tant que musicien. Mais Joe, le boulot de prof, ça l'intéresse pas vraiment, il sait pas trop s'il voit ça comme un échec en tant qu'artiste ou comme un travail alimentaire en gardant des petits concerts dans des cafés pour arrondir les fins de mois, ce qui est sur pour lui, c'est qu'il veut jouer de la musique dans la vie.


Les +

Déjà c'est beau. Sans déconner, les lumières, les ambiances, la direction artistique du “Grand Avant“, la qualité purement graphique du film est réellement impressionnante, et les seules personnes qui vous diront le contraire sont ceux qui sont blasés par le fait que Pixar rehausse chaque fois la barre des attentes. Du chemin a été parcouru depuis l'époque de Toy Story premier du nom où la maman d'Andy était sans visage et se déplaçait de manière robotique et où ses amis à son anniversaire étaient juste des clones de lui avec d'autres vêtements.


D'ailleurs du point de vue du character design, il y a tellement de richesse. Déjà les Michels sont assez incroyables d'originalité, mariant les peintures de lumière de Picasso avec un trait propre à Mickey dans le fait d'être tout le temps face à la caméra. On peut aussi voir ici un moment pris dans les rues de New York, certes la plupart de ces visages ne sont aperçus qu'un cours instant, mais on retrouve un tel panel de différences, que ce soit dans la forme des visages, les traits, les tailles etc. Et en plus, c'est quasiment la première fois qu'on retrouve une telle richesse dans des personnages de couleur. Joe, sa mère, son ancien élève qui l'appelle pour remplacer son pianiste, la chanteuse Dorothea Williams, tous les personnages présents chez le barbier, on a réellement une attention à ne pas tomber dans le travers d'avoir des personnages qui se ressemblent et ne sont définis que par leur couleur de peau.


Au niveau de son propos, on a beau croire y être préparé, Pixar nous met tout de même un petit taquet à l'arrière de la tête avec une histoire, des dialogues et des personnages percutants. L'alchimie entre le duo principal fonctionne d'ailleurs à merveille. L'histoire nous fait suivre ce quarantenaire passionné de piano et de jazz qui refuse de faire le deuil de son rêve de gosse de pouvoir vivre de sa musique comme son père l'avait fait, mais la morale n'est pas le ridicule et surréaliste “Suis tes rêves“. A la place, la morale tourne plutôt autour du fait de ne pas laisser sa vie se faire dévorer par une passion sans issue, ne pas se laisser submerger par ses passions au point d'en faire des obsessions et de voir sa vie passer au second plan, ce qui est arrivé à son père et ce pourquoi sa mère se montre si insistante à l'idée qu'il ne suive pas le même chemin. On a même une séquence qui rappelle Orelsan dans La fête est finie : “T'as passé 3 mois de stress pour 30 minutes de plaisir“. Après avoir joué son grand concert avec une de ses idoles, Joe se rend compte qu'il ne sait pas ce qui vient après. Il avait mis tellement d'importance dans cet événement, c'était devenu le sens de sa vie, et maintenant que ça appartient au passé ou à son quotidien, sa vie n'a plus vraiment de sens.

L'histoire est finalement peut-être plus celle de 22, l'âme en quête de sens, que de Joe. Et cette histoire est celle de la découverte et de l'émerveillement du monde. Alors, certes, c'est un peu une version aseptisée et 22 ne rencontre pas de tragédie ou de grande tristesse pendant son séjour sur Terre, mais il y a quand même des moments forts, appuyés par les couleurs et les lumières, dans lesquels la détresse de 22 de ne pas trouver sa place dans le monde est clairement palpable, et mes yeux ont commencé à cligner dès la fin du deuxième acte quand elle dit (je traduis la VO parce que la VF (qui est très bonne) allège un peu la phrase de son sens) “Je me suis toujours demandé s'il y avait quelque chose qui n'allait pas chez moi. Peut-être que j'étais pas assez bien pour la vie.“ On est habitué à rencontrer des personnages ayant déjà leurs objectifs et aspirations clairement énoncées et descriptibles, mais voir un personnage qui cherche encore sa place dans le monde et qui est angoissé à l'idée qu'il ne la trouve pas, que peut-être qu'il ne la trouvera jamais, qu'il n'est pas fait pour vivre, ça c'est une pensée tellement triste, et pourtant qui a résonné tellement fort en moi (et en plein de personnes de par le monde si j'en crois les réactions sur les réseaux sociaux). Et la séquence dans laquelle Joe affronte les angoisses de 22 dans le 3e acte est incroyablement forte aussi.


Enfin, petite mention spéciale à la courte séquence d'hyperconnectivité sensorielle au début du deuxième acte quand Joe sort de l'hôpital. Sans pour autant risquer de provoquer une crise ou une situation de malaise auprès des personnes présentant des troubles similaires, elle est une reproduction vraiment fidèle de ce que l'on ressent dans ces cas-là et c'est réellement satisfaisant et agréable de se voir représenté correctement de la sorte.


Les --


Un peu parce qu'il y en faut, le film n'est pas un 20/20 malgré ses très nombreuses qualités.


L'un des plus gros défauts est sans aucun doute sa fin, un peu plan-plan. On ne sait pas vraiment ce qu'il advient de 22, si ce n'est qu'elle est arrivée sur Terre. Après avoir accompli son rêve et s'être interrogé sur le sens qu'il a donné à sa vie avant de mourir une première fois, Joe accepte qu'il n'aurait pas dû pouvoir revenir, que le droit de jouer ce concert n'était finalement qu'un bonus qu'il a eu le droit et la chance de bénéficier. Il accepte sa mort, même s'il l'appréhende toujours, mais en remerciement pour avoir aidé 22 à trouver sa flamme, on lui donne le droit à une seconde chance tout en insistant sur le caractère exceptionnel d'un tel privilège. L'idée est donc un peu étrange de le faire atteindre ce stade de paix avec lui même avant de lui donner le droit de revenir, déterminé cette fois ci à faire compter chaque instant du reste de sa vie. La plupart des histoires de ce genre ne vont d'ailleurs pas aussi loin et on se contentera d'une near-death-experience ou expérience de mort imminente, par exemple survivre à un accident grave, mais accepter sa mort et revenir, c'est à se demander quelle leçon Joe peut tirer de tout ceci.

Du point de vue de la représentation des personnages de couleur, j'ai trouvé qu'elle était très bonne, loin devant beaucoup de films et séries, et ceci sans nécessairement faire de cette différence le point d'orgue de l'histoire comme c'est souvent le cas. Mais après tout, mon avis n'a pas vraiment d'importance car je ne suis finalement qu'un blanc, alors je vais plutôt me faire l'écho des critiques de personnes dont l'avis est plus pertinent que le mien. Attention, ça va spoiler sévère parce que beaucoup des critiques négatives du film tournent autour du twist arrivant au début du deuxième acte.


Rendy Jones par exemple apprécie la représentation, mais se plaint d'une surprise durant la deuxième partie du film qui fait que, bien que Joe Gardner, un homme noir, soit le personnage principal du film, il meurt dès le début et passe une bonne partie du film dans une forme spectrale de nuances de bleus et de verts avant de changer encore de forme. C'est une tendance apparemment très courante en animation d'avoir un personnage important de couleur qui se voit retirer une partie de son identité.


Même constat pour DarkSkyLady qui note d'autres exemples comme Tiana dans La princesse et la grenouille, un autre Disney dans lequel le personnage principal de couleur est transformé en une autre créature. Elle cite qu'au total, Joe n'est pas 100% Joe plus de 20 minutes dans le film, tantôt dans une forme spectrale, tantôt dans un chat. Le fait de ne pas conserver l'identité intégrale d'un personnage noir est, on le rappelle, très fréquent en animation puisqu'elle permet de prétendre à une attitude progressive et audacieuse alors qu'elle efface une partie de l'identité du personnage, permettant ainsi aux spectateurs blancs de ne plus voir “un personnage noir“ mais juste “un personnage“, et forcément, les spectateurs noirs perdent au change puisqu'ils ne peuvent plus s'identifier. Qui plus est, son corps passe une bonne partie du film habité par l'âme de 22 qui a une voix de femme blanche, ce qui n'est pas sans rappeler le film Get Out (Jordan Peele, 2017) dans lequel un groupe de riches personnes blanches repèrent de jeunes hommes noirs forts et leur lavent le cerveau pour “transférer leur conscience“ dans le corps de ces derniers, être noir étant considéré comme “à la mode“. L'excuse que 22 n'est pas encore complètement formée et qu'elle n'est pas une femme banche mais potentiellement n'importe qui n'est pas bien mieux que les gens qui disent qu'ils ne “voient pas la couleur de peau“ ou “s'en foutent que tu sois noir, blanc, rouge ou bleu“. Il n'est pas question d'ignorer les différences, elles existent et sont importantes pour notre individualité, il faut les reconnaitre et y puiser de la richesse.


Lennox Orion quant à lui se montre très sévère envers le film, estimant que le personnage de 22 n'apporte rien à l'histoire si ce n'est la déshumanisation de Joe. Le qualifiant de désastre, il trouve les ressemblances avec Get out et The Good Place (Micheal Schur, 2016-2020) trop flagrantes pour êtres des coïncidences, et trouve le comportement de 22 teinté de suprématie blanche et du complexe du sauveur blanc, tant tout ce qu'elle fait à la place de Joe autrement qu'il le souhaiterait se trouve en fait être la bonne décision. D'une manière subtile et détournée, Joe, personnage noir, est donc à chaque fois décrit comme mauvais, tandis que 22, personnage blanche, est meilleure que lui à être lui même. Il insiste également sur le fait qu'à un moment dans le film, l'un des Michels du Grand Avant chasse Joe pour le ramener à la mort après qu'il se soit échappé et attrape par erreur le mauvais homme noir et le tue, remettant son âme dans son corps juste après avant de partir avec une blague sur le fait qu'il mange des chips, la blague étant donc une mauvaise couverture anti-pauvre et grossophobe à un acte odieux et un peu trop ancré dans le réalisme.


Constance Gibbs écrivait pour Nerdist “Soul est presque un film parfait, beau et réconfortant“. Appréciant le propos autour de la dépression, de son rapport avec nos passions et nos obsessions, il ne peut s'empêcher de trouver que lorsque le co-réalisateur et auteur du film Brian Kemp rassurait les spectateurs en leur disant que non, le personnage principal noir ne sera pas transformé en une autre créature et on le verra tel quel un temps suffisant, il se foutait un peu du monde. Parce qu'encore une fois, Joe possédé par 22, ça ne compte pas tout à fait.


Shaye Wyllie écrivait pour son propre site PopcornAndTequila.com une liste des éléments qui lui ont plu (13) et déplu (11) dans le film, notant que le film étant plus agréable à regarder en famille et manquait énormément le coche en ce qui concerne le fait de s'adresser à la communauté afro-américaine. Elle reconnait l'intérêt du propos général de la recherche d'un but, le côté parfois ironique de certaines blagues sur la vie ou l'originalité de certains éléments, mais aussi les problèmes des éléments cités plus haut ou encore une fatigue à l'idée que les gens, et en particulier de couleurs, détestent leurs emplois non-créatifs.


Comme d'habitude pour ma part, je ne pourrai que vous encourager à le regarder et vous faire votre propre opinion par vous même. Le film a des qualités, c'est certain, mais il a aussi des défauts qui ne sauteront peut être pas aux yeux de tous, c'est seulement en me renseignant sur d'autres opinions que j'ai appris la plupart de ces critiques négatives qui sont pourtant très valides et tout à fait légitimes. Alors n'hésitez pas à étoffer votre opinion auprès de gens avec des avis différents.


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